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Neuf mois après avoir pris la tête de la croisade contre Israël en déposant plainte pour génocide contre l’Etat hébreu auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), l’Afrique du Sud est-elle en train de recalibrer sa politique étrangère ?
A la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le 24 septembre, le président sud-africain Cyril Ramaphosa l’a répété : « Nous, Sud-Africains, savons à quoi ressemble l’apartheid [et] nous ne resterons pas silencieux en regardant l’apartheid se perpétrer contre d’autres. » Tout en soulignant que son pays était à l’aube d’une « nouvelle ère » depuis la formation d’un gouvernement d’union nationale, en juin.
Figure montante de ce nouvel exécutif, Ronald Lamola, 40 ans, a pris la tête du ministère des affaires étrangères dans un style qui tranche avec celui de sa prédécesseure, Naledi Pandor. Issue de la vieille garde du Congrès national africain (ANC), le mouvement de libération de l’Afrique du Sud marqué par une conception du monde héritée de la guerre froide, Mme Pandor n’a eu de cesse de dénoncer avec véhémence le « double standard » des nations occidentales, notamment en matière de droit international, tout en affichant sa proximité avec la Russie ou l’Iran.
Au cours d’une visite aux Etats-Unis, en mars, elle avait notamment refusé de qualifier l’Iran de régime autoritaire. The Wall Street Journal s’était alors fendu d’un éditorial expliquant que « l’Afrique du Sud a rejoint l’axe antiaméricain ». A l’inverse, Ronald Lamola, également membre de l’ANC, a insisté sur les « valeurs partagées » avec les Etats-Unis au cours d’un déplacement dans le pays en septembre.
Dans le même temps, Anthony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, saluait le partenariat « extraordinaire et important » entre les deux nations. Les Etats-Unis sont le deuxième partenaire commercial de l’Afrique du Sud et celle-ci est le premier partenaire commercial des Etats-Unis en Afrique.
« Ronald Lamola est plus ouvert à l’importance de la diplomatie économique, par opposition à une diplomatie purement idéologique », souligne Jakkie Cilliers, directeur de l’Institute for Security Studies, un groupe de réflexion panafricain. Avec ce jeune avocat spécialiste en droit des sociétés et des marchés financiers, il remarque que les « commentaires très durs qu’on a pu voir avec la ministre précédente » ne sont plus d’actualité. Une légère inflexion, qui reflète également la diversité de points de vue au sein du nouveau gouvernement d’union nationale.
Après avoir perdu sa majorité absolue au Parlement pour la première fois depuis la fin de l’apartheid à l’issue des élections du 29 mai, l’ANC partage désormais le pouvoir avec une dizaine de partis. Proche des démocraties occidentales, l’Alliance démocratique (AD), opposant historique de l’ANC, est devenue son principal allié.
Parti libéral, l’AD défend une approche modérée des relations internationales fondée sur la défense des intérêts économiques du pays. Son dirigeant, John Steenhuisen, plaide également pour une position « mesurée, rationnelle et raisonnable sur le Moyen-Orient ». Tout en estimant que l’Afrique du Sud est « dans son droit » en portant plainte auprès de la CIJ, il expliquait en mars que « ce n’est pas l’endroit pour s’agiter en criant “génocide” ».
La formation du gouvernement d’union nationale a également rassuré les 50 000 membres de la communauté juive sud-africaine, la plus importante d’Afrique subsaharienne, qui s’est sentie « totalement abandonnée » par le gouvernement après le 7 octobre 2023, explique Wendy Kahn, directrice du South African Jewish Board of Deputies, l’instance représentative des organisations juives dans le pays. « Pendant plus d’une semaine, il n’y a eu aucune condamnation des attaques », rappelle-t-elle en soulignant que, dans la foulée, Naledi Pandor s’entretenait par téléphone avec un leader du Hamas avant de s’envoler pour l’Iran, le 22 octobre.
Alors que les relations avec l’ANC ont atteint leur « plus bas niveau historique » après le 7 octobre, la South African Jewish Board of Deputies assure qu’elle « échange plus » avec le gouvernement depuis les élections. « C’est encore tôt, mais l’arrivée de différents partis, dont plusieurs sont plus nuancés dans leur approche du conflit, nous fait espérer que la politique étrangère du pays sera plus équilibrée », poursuit Wendy Kahn.
« La position de principe de l’Afrique du Sud n’a pas changé », nuance toutefois Jakkie Cilliers. Ministre de la justice avant de prendre la tête des affaires étrangères, Ronald Lamola a suivi de près la plainte auprès de la CIJ. « Nous continuons d’appeler la conscience collective de la communauté mondiale à se montrer solidaire du peuple palestinien et à appeler Israël à mettre fin au génocide qui se déroule actuellement », déclarait-il récemment. L’Afrique du Sud s’apprête par ailleurs à déposer de nouveaux documents auprès de la CIJ afin de « prouver qu’Israël commet un génocide en Palestine ».
Mais le sujet pourrait bien être relégué au second plan alors que le pays s’apprête à prendre la présidence du G20, en 2025. « Il semble que l’Afrique du Sud, dans une certaine mesure, est allée aussi loin qu’elle le pouvait avec sa plainte auprès de la CIJ. Le sujet ne va pas disparaître mais tant qu’il n’y a pas de mouvement, l’attention devrait se détourner vers le G20 », estime Jakkie Cilliers.
Considérée comme un succès par Pretoria, la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël a projeté le pays sur la scène diplomatique mondiale en renforçant son image de porte-parole du Sud global. « Cela a aidé à mettre la pression sur Israël. Des millions de gens dans le monde protestent en agitant le drapeau de l’Afrique du Sud », se réjouit ainsi Roshan Dadoo, coordinatrice sud-africaine du BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), un mouvement d’appel au boycott d’Israël.
« Cela a également permis de montrer au monde l’étendue de l’impunité d’Israël et de mettre en évidence que les puissances occidentales lui permettent d’agir comme un Etat voyou en refusant de se soumettre aux mesures conservatoires ordonnées par la Cour », poursuit-elle. En janvier, la CIJ a ordonné à Israël de faire tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir tout acte de génocide et permettre l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. En mai, elle a également ordonné à Israël d’arrêter « immédiatement » son offensive militaire à Rafah.
Mais le mouvement d’appel au boycott d’Israël, très puissant en Afrique du Sud, n’est pas entièrement satisfait de la position sud-africaine. « Nous pensons que le gouvernement doit être cohérent », estime Roshan Dadoo. L’organisation appelle l’Afrique du Sud à prendre exemple sur la Colombie en stoppant les exportations de charbon vers Israël. Sans succès jusqu’ici.
Le BDS appelle également à un boycott d’Israël dans le domaine culturel et sportif. Des secteurs dans lesquels il se heurte désormais à un ministre pro-Israël, le leader de l’Alliance patriotique, Gayton McKenzie. Chrétien pratiquant, celui qui explique défendre Israël pour des raisons religieuses a fait savoir, fin juillet, son « mécontentement » après la publication d’un communiqué par son ministère condamnant la participation d’Israël aux Jeux olympiques.
Mathilde Boussion (Johannesburg, correspondance)
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